Avant-propos


En 1986, alors qu’Amnistie internationale célébrait son vingt-cinquième anniversaire, ma bonne amie Marielle Séguin, alors associée à l’entreprise de relations publiques Bazin, Dumas, Dupré et Sormany, avait eu comme idée de demander à 25 agences de publicité de Montréal de créer une affiche pour souligner l’événement, sous le thème Y a pas de quoi fêter.  Alors vice-président associé au tristement célèbre Groupe Everest (vous vous rappelez la Commission Gomery?), j’avais créé, en collaboration avec le peintre-illustrateur Michel-Thomas Poulin, le concept d’un prisonnier dont on ne voyait que l’ombrage projeté sur le plancher et la muraille de sa cellule. Le titre : Aidez-les à sortir de l’ombre!

Trois ans plus tard, en juin 1989, je me rendais pour la première fois au Festival international de films publicitaires de Cannes. Pendant quatre jours, j’assistai au maximum de projections dans le Palais des Festivals, alors que beaucoup d’habitués profitaient plutôt du soleil et de la plage, sur la Croisette. Habitué jusqu’alors à voir chaque année les gagnants des prestigieux Lions au cinéma Outremont, avec le Publicité-Club de Montréal, je me régalais pour la première fois de la quasi-intégralité de toutes ces pubs venues de partout dans le monde, des catégories boissons alcoolisées à sans alcool, en passant par les voitures, les institutions financières, la bouffe, les parfums, les accessoires de sport, les médias, les produits du tabac (eh oui! c’était encore accepté à l’époque), etc. Mais la dernière journée, quand on présenta les films de marketing social et de grandes causes humanitaires, finie la rigolade! Pendant quelques heures, je fus bombardé de toutes les misères du monde…

Alors que la publicité commerciale nous fait voir ses produits ou services sous leur plus beau jour, voilà que ces messages qui cherchent à faire modifier nos comportements ou à nous faire donner généreusement pour une cause nous accrochent en nous faisant voir les pires atrocités qu’on puisse imaginer. Je me rappelle, entre autres, d’un message dénonçant l’holocauste, avec des images de buldozers qui poussent des cadavres dans une fosse commune, accompagnées de la très belle chanson de Luis Armstrong, What a wonderfull world. Puis, une autre pub avec un seul plan séquence, où un jeune garçon d’environ dix ans, à qui on ajoute une moustache, devient soudainement un sosie d’Hitler en exécutant le salut nazi est tout-à-coup transformé quand on lui dépose un chapeau melon sur la tête, le métamorphosant ainsi en un sympathique Chaplin. Tout dépend de l’éducation qu’ils reçoivent, ajoute simplement la voix hors champ.

Pour rester dans le ton, un autre message nous rappelle les horreurs de la guerre, tout en nous rappelant qu’il y a pire encore! Quoi donc? Sur un fond bleuté, on nous présente simplement un tire-bouchon à levier. En animation, on voit d’abord le petit couteau du sommelier se déployer, puis la mèche en forme de queue de cochon et l'appui prendre un angle à leur tour. Avec un changement d’éclairage, le tire-bouchon prend tout-à-coup l’aspect d’un fusil à baïonnette… La voix hors champ ajoute alors que l’alcool au volant a tué plus de gens que la seconde guerre mondiale! Un message britannique… je me rappelle très bien de l’image et de l’impact que ça a eu sur moi.

Je suis sorti du Palais des Festivals complèment hébété. Il pleuvait à boire debout. Je me disais, en traversant la rue pour me rendre à une terrasse d’en face : mais qu’est-ce que je pourrais bien trouver à mon tour pour faire autre chose que de vendre de la bière ou un parc d’attractions (je travaillais alors pour la Brasserie Molson et La Ronde). Je me suis donc assis sous un parasol (servant plutôt, pour l’occasion, de parapluie), j’ai commandé une 1664 (le plus grand numéro qu’une bière puisse vous faire) et j’ai commencé à réfléchir. Inutile de vous dire que j’étais seul sur la terrasse et que le garçon trouvait bien étrange que je commande une bière par cette température, à l’extérieur. Qu’importe! J’étais dans un état second et je me demandais pour qui je pourrais écrire un message intéressant. Mais oui! Amnistie internationale! J’étais membre depuis quelques années et je n’avais rien fait  à part envoyer quelques lettres, payer ma cotisation annuelle etl'affiche du vingt-cinquième...

Auto-briefing. Très bref en fait. Qu’est-ce qu’on fait chez Amnistie internationale? On écrit, entre autres, des lettres pour faire libérer des prisonniers d’opinion. C’est bon. C’est ça! Je l’ai : une plume flotte dans un espace carcéral. Elle avance lentement, mais sûrement, vers la grille derrière laquelle se trouve un prisonnier. Elle se glisse dans la serrure, tourne doucement… la grille s’ouvre. Avec Amnistie internationale, vous tenez la clé dans votre main. Eurêka! 

Scénarimage dessiné par Béatrice Favereau
Je reviens à l’hôtel, embrasse Lucie, la mère de mes enfants et je lui raconte mon concept, tout excité! Merde, il nous reste encore une semaine de vacances sur la Côte d’Azur… J'exagère à peine! Revenu à Montréal, encore fébrile, mais quand même reposé et gavé du soleil de la Provence, je me précipite au studio de l’agence et je briefe Béatrice Favereau, une jeune stagiaire française, illustratrice, pour qu’elle planche sur un scénarimage, ça presse! Puis, j’appelle chez Amnistie internationale. J’ai une idée pour un message télé. Daniela Renosto, responsable des communications, accepte de me rencontrer, en compagnie du directeur général de l’époque, Gilles Corbeil. Ils sont à deux pas de l’agence, sur l’avenue du Parc. Le surlendemain, je me présente avec le « storyboard ». On m’avise d’abord qu’on reçoit régulièrement des propositions d’illuminés qui ont eu une bonne idée. Je leur présente la mienne.
- Intéressant, me dit Gilles, mais nous n’avons pas de budget pour produire un tel message.
- Qui a parlé d’argent, que je réponds?

Je reviens à l’agence, rempli d’espoir. Mais ce n’est pas tout, il faut aussi gagner sa vie… et ses voyages à Cannes, où je veux désormais retourner le plus souvent possible! Je me remets donc au boulot, travaillant, inspiré, sur quelques campagnes commerciales. Je rencontre trois maisons de production pour un projet. Je retiens la Fabrique d’images et son nouveau réalisateur, encore peu connu, Christian Duguay. Après la réunion de pré-production pour ce client, je sors le scénarimage d’Amnistie internationale. Aussitôt, Christian s’exclame : Je veux le faire!

En passant, pour ceux qui ne connaissent pas Christian Duguay, c’est un réalisateur et un directeur photo de grand talent (Guillaume Tell, Scanners II et III, Million Dollar Babies, L'Art de la Guerre, Joan of Arc, Human Trafficking, etc.). Pour connaître sa filmographie, cliquez ici.

Bref, Christian embarque, enthousiaste. Le producteur, un peu pris par surprise, acquiesce aussi. Et la machine s’emballe! Une belle journée d’août 1989, on se retrouve, une trentaine de personnes, dans l’ancien immeuble désafecté de Redpath, sur le bord du canal Lachine, dont le propriétaire est le seul à exiger 5 000 $ pour la location des lieux. Car tous les autres sont là bénévolement, de la cantine au maquillage, en passant par la location d’équipement, les électros, les machinos, le preneur de son qui s’est écrasé un doigt pendant le tournage… Le prisonnier est un autre stagiare français qui séjourne aussi à l’agence. (Comme j’ai moi-même eu la chance d’être stagiaire chez Roux, Séguéla, Cayzac, Goudard à Paris en 1983, grâce à l’Office franco-québécois pour la jeunesse, je me sens en dette envers tous les Français depuis!) Tout gratos! Caméra 35 mm, films, développement, décors, effets spéciaux, steadycam, name it! 



Ajoutez à cela la musique de Jean Robitaille et la merveilleuse voix d’Andrée Lachapelle, une des plus grandes comédiennes du Québec, alors présidente d’honneur d’Amnistie internationale. On obtient alors un message cinéma de 53 secondes et un message télé de 30 secondes, diffusés gratuitement et récompensés largement : Deux Coqs au Publicité-Club de Montréal, Mondial d’argent au Mondial de la publicité francophone à Abidjan, en Côte d’Ivoire, finaliste au Hollywood Broadcasting Awards et à Chicago, Top ten commercial selon le magazine canadien Marketing, de Toronto… Pas si mal pour un début!

Si ce message, intitulé La plume,  a été pour moi un geste gratuit et bénévole, il a été pour l’agence la carte de visite pour se positionner dans le monde du marketing social… payant! Le Groupe Everest a alors remporté, coup sur coup, de beaux mandats auprès du gouvernement fédéral de l’époque (alors conservateur, pas libéral, bien avant le scandale des commandites), dont une campagne pour contrer le décrochage scolaire – L’école avant tout (Stay in school) – et un autre pour la Semaine de la Citoyenneté canadienne. Ouch! Moi qui suis souverainiste!!

N’empêche que j’ai su en profiter aussi. Passant du Groupe Everest à Publicité Martin, je me suis retrouvé sur des mandats comme celui du ministère de l’Éducation du Québec, L’école, ça commence à la maison, avec Francine Bernier,  et de la Société de l’assurance automobile du Québec, À vélo sans casque, es-tu tombé sur la tête? La vie, pas la vitesse. Sans ceinture, ça cogne dur. L’alcool au volant, ça brise des vies. Traverser n’importe où, c’est bête… avec Gaétan Boulais, directeur artistique et Pierre-Alain Dostie, concepteur-rédacteur. Puis, en quittant Publicité Martin, j’ai continué à réaliser des campagnes de marketing social pour le ministère de la Santé et des Services sociaux, comme La violence, c’est pas toujours frappant, mais ça fait toujours mal ou La loi sur le tabac – Pour que tout le monde respire, en collaboration avec Michèle Petitclerc et … . Puis, en collaboration avec Cossette Québec et l’équipe d’Yvon Brossard, quelques concepts de la campagne Parler, c’est grandir. Et encore, pour la CSST, quatre messages de 15 secondes pour la sécurité au travail dans les PME et le slogan, toujours en usage au moment d’écrire ces lignes : La prévention, j’y travaille!

Toutes ces années de marketing social m’ont donc amené à continuer de donner du temps pour des causes humanitaires : plus de douze messages télé pour Amnistie internationale, dont plusieurs ont remporté des prix, Oxfam-Québec, la Fondation du Dr Philippe-Pinel, Loto-Pompier… Au point où j’ai pensé créer une agence virtuelle pour le marketing social et les grandes causes humanitaires : Publici-Terre (www.publiciterre.org).

De plus, à la demande de Sylvain Desrochers, responsable du Certificat en publicité de l’Éducation permanente, à l’Université de Montréal, j’ai créé un nouveau cours intitulé Marketing social et grandes causes humanitaires,  que je donne depuis février 2004. Cours pour lequel j’ai reçu une mention honorable en mai 2005, dans le cadre du concours de Personnalités marketing de l’année, organisé par l’Association marketing de Montréal.

C’est donc dans ce contexte que je me retrouve aujourd’hui à Chevagny-sur-Guye, en Bourgogne, pour amorcer tranquillement, entouré de vaches charolaises et de bons pinots noirs, ce livre qui, je l’espère, sera utile tant aux directeurs de communication qui oeuvrent dans le monde du marketing social que dans les organismes sans but lucratif (OSBL), les annonceurs commerciaux qui sont à la recherche de nouvelles stratégies pour appuyer leur image de marque, que les étudiants qui s’intéressent à ces sujets.

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